La potière et l’atelier

La potière et l’archéologue

L’un des souvenirs les plus prégnants de mon enfance consiste en une grande mappemonde accrochée au mur dans le bureau de mes parents. Quel délice de pointer un doigt n’importe où et de m’imaginer y être ou y aller. Stavropol, Taoudenni, Savannah, Coimbatore… Le plaisir que j’éprouvais à ce jeu était immense. Je crois que cette carte a fait de moi ce que je suis.

Dès avant mes 10 ans, j’ai eu la chance de beaucoup voyager avec mon père. Reykjavik, Cilaos, al-Atlas al-Kabir… J’ai tôt goûté la multiplicité du monde, ses cultures traduites en nourriture, œuvres, artisanats, gestes et langues propres : « Fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations » . J’ai puisé dans ces voyages un inestimable carburant, ma curiosité.

Puis Ras Shamra. Syrie. Un site archéologique à ciel ouvert. Une ville. Un peuple éteint tant que présent. Un choc. Un amour immédiat, sans compromis. Je serai archéologue, cela me fera voir du pays.

Après avoir orienté mes premières recherches universitaires sur le Proche-Orient, les rencontres et les portes poussées m’ont propulsée plus à l’Est encore… vers l’Asie du Sud et du Sud-Est. Vers la céramologie aussi. On est en 2005. Cela fait trois ans que je vais pieusement aux journées de la Céramique de Bélesta où j’ai découvert l’amour de la terre et du feu. J’y fais mes premiers pots, mes premières cuissons et découvre un milieu où je me love en ronronnant.

Archéologie et poterie concilient maintenant tout : la femme, la chercheuse, la routarde, la potière en devenir.
S’ensuivent les années doctorales. Recherches en Inde, où je conduis une enquête ethnoarchéologique sur plusieurs mois auprès de potiers du Rajasthan. J’analyse leurs gestes qui laissent des traces de façonnage spécifiques que j’enregistre sur les pots achevés. Ces traces constituent des référentiels pour mes recherches spécialisées en technologie céramique, à savoir, la reconstitution des chaînes opératoires à partir des macrotraces de façonnage. Ces chaînes sont propres à chaque culture. Sur un site, leur caractérisation constitue un outil puissant pour identifier et tracer les groupes culturels. À cette période, je travaille beaucoup en Thaïlande, mais aussi en Indonésie ou au Vietnam. En Inde encore. Une tranche de vie sac au dos à traquer le tesson archéologique systématiquement enregistré, décrit, daté, classé, dessiné, photographié… Cuisine de rue, trains couchettes, vaches sacrées, sourires édentés ou costumes académiques, lits à baldaquin d’Écoles Françaises ou cloaques à quelques roupies de villes ou villages aux noms imprononçables…
Nawalgarh, Pondichéry, Jakarta, Khao Sam Kaeo, Gangaikondacholapuram…
2012, thèse soutenue. Je souhaite maintenant me stabiliser en France. Tour à tour technicienne de fouille ou gestionnaire de petit mobilier, je deviens finalement céramologue antiquisante. Sarthe, Loire Atlantique, Indre-et-Loire, Maine-et-Loire. Les tessons découverts sur les sites viennent parfois de loin : côte Bétique, Tarraconaise, Afrique, Italie… Ils témoignent aussi de savoir-faire locaux, régionaux ou nationaux. Ces particularismes me touchent. Petit à petit, l’envie de produire mûrit. De reproduire aussi, de réinterpréter peut-être ?
Je cherche un financement que je trouve en 2019. Il me permet un an de formation à l’AAC de Tours pour passer un CAP « tournage en céramique ». Aujourd’hui, mon atelier se situe à Elliant, dans le Finistère. Il y a fort longtemps, peut-être avais-je pointé du doigt ce village sur une carte?

Support de kokédama réalisé à six mains, avec Yan Moser et Rachel Pinget (Collectif Derrière la forêt).